L’église Saint-Martin de Saint-Martin-des-Puits sera-t-elle sauvée ?

l’essentiel
L’église Saint-Martin, dans la commune de Saint-Martin-des-Puits, est l’une des plus anciennes de l’Aude. Marie-Jeanne Jaffres, présidente de l’association des Amis du patrimoine de la Haute vallée de l’Orbieu se bat pour préserver ce joyau de l’ère pré-romane. Mais elle se heurte à l’indifférence de la mairie.

Cette petite église pré-romane est mentionnée pour la première fois dans les textes historiques en 1093.

Elle aurait donc été construite antérieurement, comme en témoignent ses fresques du IXe siècle peintes derrière l’autel.

Un joyau patrimonial. Délaissée sur le bord de route tout en bas du village de Saint-Martin-des-Puits, l’église n’aurait jamais retenu des égards de Marie-Antoinette Rivière. « Ce qui me ferait le plus plaisir, c’est que cette église soit désintégrée » aurait-elle même dit un jour à Marie-Jeanne Jaffres, présidente de l’association des Amis du patrimoine de la haute vallée de l’Orbieu.

Marie-Jeanne Jaffres a pourtant tout fait pour cette église. Dès 2004, elle propose à Madame Rivière de l’aider à la restaurer, lui promettant même de trouver des fonds pour épargner à la mairie de débourser un seul centime.

Saint-Martin-des-Puits, un petit village niché au cœur des Corbières, dans la vallée de l'Orbieu.

Saint-Martin-des-Puits, un petit village niché au cœur des Corbières, dans la vallée de l’Orbieu.

Elle se rend à New York, toque aux bureaux de la fondation Getti, et parvient à trouver un mécène en la World Monuments Fund, qui classe alors la petite église de Saint-Martin sur la liste du patrimoine exceptionnel de l’humanité menacée, aux côtés de la pyramide de Teotihuacan ou du Machu Picchu !

Au tournant des années 2010, de premiers travaux de restauration sont effectués dans l’église. La toiture est reconstruite, les fresques sont copiées et protégées, les arcs-boutants consolidés. Sur un même retrouvé l’autel primitif. En 2012, la Banque Populaire propose un nouveau financement.

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Un dîner de charité doit donc être organisé à l’église Saint-Martin en compagnie des membres de l’association fondée par Marie-Jeanne Jaffres, « mais la Maire ne nous a pas ouvert l’église »se désole-t-elle.

Alors que des mesures de protection avaient été prises pour que la porte de l’église reste fermée pour protéger l’édifice de tout vandalisme, voilà qu’elle est aujourd’hui ouverte aux quatre vents.

« Une tête de Christ a complètement été vandalisée », regrette Marie-Jeanne Jaffres, qui espère simplement que cette église sera un jour reconnue et restaurée à la hauteur de sa valeur patrimoniale. Cet été, un rare concert de musique classique, organisé par l’intercommunalité Région Lézignanaise Corbières Minervois, s’est tenu dans le chœur de l’église.


Saint-Martin-des-Puits, hameau forestier des harkis

7 habitants en 1962, 147 en 1968, 10 en 1980. La courbe de population de Saint-Martin-des-Puits connaît une remontada spectaculaire dans les années 1960 et 1970, époque à laquelle 25 familles de harkis seront « transférées » pour effectuer les travaux forestiers sous l’égide des Eaux et Forêts (ancêtre de l’Office National des Forêts).

En 2019, sur décision nationale, une stèle doit être apposée à Saint-Martin pour commémorer le passé harki du village. Mais Madame Rivière, alors maire, refuse cette installation. « Elle a été odieuse, raconte Sabbah Atrous, présidente des Anciens combattants et harkis à Carcassonne, elle refusait catégoriquement l’installation d’une stèle dans son village, prétextant que son frère était mort pendant la guerre d’Algérie. Malgré l’intervention de la Préfecture, il a fallu qu’on menace d’organiser une manifestation dans son village pour qu’elle consente enfin à nous laisser mettre la stèle. Elle nous a alors proposé de l’installer dans le cimetière ! »

Le jour de la commémoration, une cinquantaine de harkis et leurs descendants sont présents à Saint-Martin, et demandent à visiter une de leurs anciennes maisons, construites à l’époque en préfabriqué et encore debout aujourd’hui. « La maire est conservée chez elle, et a refusé qu’on visite une maison. Pour pallier ce refus, une voisine résidant dans l’une d’elles a accepté de nous faire entrer chez elle, dix par dix. Ensuite, nous devions déjeuner sur place, mais le seul endroit mis à disposition par la mairie était l’ancien préau de l’école, lieu où l’on tue aujourd’hui les sangliers. Il y avait plein de sang, c’était dégueulasse. En réparation, le fils de la maire, Henri, nous a arrangé le restaurant dans le village d’à côté. Il a été aimable et courtois. », rappelle Sabbah Atrous.

Les harkis, précurseurs face à la menace incendie

En 2020, Henri Rivière vante les nouveaux chemins que son association de chasse creuse en forêt, arguant qu’il s’agit de « chemins contre les incendies ». Il recevra alors un trophée « chasse durable » de la part de la Région ainsi qu’une subvention de 2000 euros, utilisée pour la localisation du bulldozer avec lequel de larges tranchées sont ouvertes dans les massifs. Ces chemins sont en réalité principalement utilisés pour la chasse, et si leur utilité en cas d’incendie est réelle, Jean-Paul Baylac, responsable du service Feux de forêts au Sdis de l’Aude, corrige cependant : « Dans l’Aude, il n’existe ni règlement, ni existence légale de chemins réservés à la défense contre les feux de forêts. On ne peut donc pas faire valoir cet usage. »

Henri Rivière est quelque part, peut-être sans le savoir, un héritier des forestiers harkis. Dans les années 1960 et 1970, ces hommes sont mis à l’ouvrage dans les forêts françaises pour y réaliser d’importants travaux : créer des zones défrichées pare-feu, tracer des routes d’accès pour les pompiers, bûcheronnage. Les autorités françaises délivrent chez ces Algériens le savoir-faire issu de la foresterie kabyle, inconnus en France. « Je revois mon père éteindre des incendies avec des branchages », se souvient Aïcha Serdani, qui a passé 14 ans de sa vie à Saint-Martin-des-Puits. À cette époque, dans les années 1970, deux familles françaises « gèrent » les quelque 140 harkis vivants à Saint-Martin. « Ils s’occupaient de l’intendance, et nous distribuions les allocations familiales en se servant au passage », raconte Aïcha, qui décrit des attitudes d’un mépris tout colonial.

De cette époque, plus grand-chose ne reste. Les derniers harkis ont quitté Saint-Martin-des-Puits en 1978, date à laquelle les hameaux forestiers auraient déjà dû être démantelés. Quand Marie-Antoinette Rivière arrive en 1982, seuls quatre habitants demeurent encore à Saint-Martin. La population du village stagne tout au long des années 1990 et 2000 entre 10 et 20 habitants. L’ancienne école est devenue la mairie d’aujourd’hui, Madame Rivière s’étant installée dans l’ancienne maison communale qui hébergeait jadis les instituteurs.